You shouldn’t see me

“Rien d’humainement grand n’est né de la réflexion.”
Joseph Conrad, Souvenirs

 

Antoine Adam est le plus verni des critiques ciné. Alors que ses collègues doivent se fader des milliers de films ne faisant aucune allusion au catch, et donc dénués du moindre intérêt, notre Tonio, lui, ne regarde que les films liés au noble divertissement. Après The Condemned et The Wrestler, il nous livre ici son analyse de The Marine. Pas la peine de le remercier, Tony adore ça.

 

 


Oh, chouette, un film de la WWE!

 

Analyse du film The Marine

 

 


“Rien d’humainement grand n’est né de la réflexion.”
Joseph Conrad, Souvenirs

 

Antoine Adam est le plus verni des critiques ciné. Alors que ses collègues doivent se fader des milliers de films ne faisant aucune allusion au catch, et donc dénués du moindre intérêt, notre Tonio, lui, ne regarde que les films liés au noble divertissement. Après The Condemned et The Wrestler, il nous livre ici son analyse de The Marine. Pas la peine de le remercier, Tony adore ça.

 

 


Oh, chouette, un film de la WWE!

 

Analyse du film The Marine

 

 


Orson Welles en avait rêvé. Francis Ford Coppola a sacrifié sa santé et son argent pour le faire. John Bonito les surpasse tous les deux: jamais personne n’avait aussi bien porté les mots de Joseph Conrad à l’écran. Si Apocalypse Now s’écartait progressivement de son modèle de papier pour devenir le voyage intérieur vers la folie de son réalisateur, John Bonito réussit à rester d’une fidélité sans limite à l’auteur de Nostromo en faisant de The Marine l’un des films les plus débiles de l’histoire du cinéma. Et ça, c’est grand.

 

 


Si on prend la photo au bon moment, on peut faire passer un You can’t c me pour un salut militaire.

 

 

The Marine est un film complètement idiot, d’une parfaite crétinerie, même. Paradoxalement, il permet de se poser de nombreuses questions. La première étant bien sûr : “Mais pourquoi est-ce que je suis en train de regarder ce navet?” D’une certaine façon, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Personne ne m’a forcé la main quand je me suis porté volontaire pour faire la critique des films de la WWE pour les Cahiers du Catch. Non, j’étais même heureux de le faire. Et après avoir vu et chroniqué The Condemned, je me suis même dit que j’avais pris une bonne décision. Tout a changé quand John Triton est entré dans ma vie.

 

 


Heu, bonjour. C’est ça que je dois dire, hein, « bonjour »?

 

 

John TRITON. Je marque ici une pause et demande à chaque personne lisant cet article de savourer ce nom comme il se doit. A-t-on déjà vu patronyme plus ridicule pour un personnage de film d’action ? Alors, me direz-vous, en fins connaisseurs de la langue de Chaucer que vous êtes, en anglais ça se prononce “Traïtonne” et du coup, c’est plus si marrant. Mais imaginez que ce Triton est incarné par John Cena, la preuve vivante que Darwin avait tort et que l’homme n’a pas évolué depuis le singe mais depuis le taureau. Là, ça prend tout de suite une touche beaucoup plus comique. Ajoutez là-dessus une espèce d’écran titre où Cena, affublé de l’uniforme du Marine, fait le salut militaire sur fond de ciel bleu et vous avez une certitude: ce que vous allez voir va franchir toutes les limites de la connerie.

 

 

John Triton, donc, est The Marine. Même si ce n’est pas pour longtemps. Après avoir, dans l’introduction du film, sauvé à lui seul trois Marines sur le point d’être exécutés par d’infâmes terroristes irakiens d’Al-Qaida (au moins ça), Triton est radié de l’armée car il a désobéi. On lui avait demandé d’attendre les renforts. Il a engagé le combat quand même. Et quand bien même il a tué une vingtaine de terroristes au fusil, au couteau, au pistolet, au lance-flamme ou en leur brisant la nuque d’un énergique coup de talon, rien n’y fait. Il doit quitter les fusiliers marins (avouez que ça claque moins que “Marines”) et retourner à la vie civile. Bureaucratie de merde.

 

 


John Triton va enfin pouvoir lire sa « Critique de la raison pure » sans être interrompu.

 

 

Triton retourne donc dans sa jolie maison sous un ciel radieux. Il est accueilli comme il se doit par sa jolie épouse, qui s’empresse d’enlever ses vêtements pour satisfaire son mari. La belle vie, quoi. Mais Triton s’emmerde. Il est un Marine avant d’être un homme. Tuer des salopards, c’était sa raison d’être. Du coup, quand il trouve un job d’agent de sécurité dans une entreprise quelconque, les choses ne se passent pas si bien que ça. Sa femme lui propose donc de partir s’aérer un peu, prendre quelques jours de vacances où elle pourra de nouveau enlever ses vêtements. Triton accepte. Bien mal lui en prend, sa blonde sera kidnappée par une bande de braqueurs en fuite menée par Robert Patrick — mais oui, celui qui nous terrorisait il y a plus de quinze ans en incarnant le protéiforme T-1000 dans Terminator 2.

 

 


Robert Patrick s’est laissé berner : il croyait tourner des essais pour le rôle du Dr. Manhattan dans « Watchmen ».

 

 

Avouez que jusqu’ici le scénario n’a pas franchement fait dans l’originalité. C’est d’ailleurs un des traits distinctifs de ce film: rien n’est original. L’introduction en Irak, par exemple, qui reprend les poncifs du film d’action des années 1980 avec ce “AAAAAAAH” rageur poussé par Cena pendant qu’il mitraille d’affreux terroristes. Le collègue un peu débile mais marrant, quand le bon Triton tente une réinsertion dans la vie civile dont l’échec est inéluctable. La femme amoureuse qui attend patiemment le retour de son gorille à la maison, s’inquiétant de savoir s’il rentrera ou si c’est par téléphone qu’on lui annoncera une terrible nouvelle. Les clichés sont ainsi égrenés sans répit et sans pitié pour un spectateur qui n’aurait pas passé les vingt dernières années dans une grotte. La bande de braqueurs vaut également son pesant de cerveaux trépanés. Un gros débile psychopathe qui joue avec son couteau, un Noir drôle, Manu Bennett, la sempiternelle salope et enfin le leader machiavélique. Ce dernier est incarné par un Robert Patrick tellement détaché de l’affaire qu’on se demande si son interprétation n’est pas un sabotage pur et simple. Un rictus ironique constamment collé sur les lèvres, il prend un malin plaisir à jouer chaque scène à contre-pied. Là où il devrait être menaçant, il apparaît sympa. En guise de faciès effrayé, il lève à peine un sourcil interloqué. Et ses tentatives d’humour sont, à ce jour, la plus importante cause de suicide chez les clowns. Non, là j’ai envie de dire, chapeau Robert!

 

 


Captain Charisma!

 

 

Mais si l’immortel T-1000 fait fort, que dire de la musique! Le responsable devait être drogué, encore pire que Keith Richards dans les années 1980, je ne vois que ça: chaque morceau est un pur concentré de nullité non-sensique. Par exemple, pourquoi, Mon Dieu pourquoi, une espèce de flûte irlandaise tout droit sortie du Seigneur des Anneaux illustre-t-elle le retour de Triton à la maison? C’est à tel point inapproprié qu’on s’attend à voir un Hornswoggle déguisé en hobbit sortir d’un placard! Et que dire de cette musique aux accents patriotiques qui résonne quand le pauvre Triton, à la terrasse d’un bar, sait qu’il a perdu son boulot On peut pardonner l’utilisation de thèmes musicaux censés relever la tension de certaines scènes qui en sont totalement dépourvues, notamment au milieu du film, quand tout le monde se balade dans ce qu’on voudrait nous faire passer pour le bayou. Après tout, c’est un subterfuge classique auquel on est habitué. Mais il y a parfois ces petites explosions de n’importe quoi musical qui vous font soudainement prendre conscience que décidément, la WWE a bien du mal à garder son sérieux, même quand elle fait des films.

 

 


John Cena pendant la première de « The Marine ».

 

 

Difficile malgré tout de prêter attention à ces petites notes perdues au milieu d’effets sonores tonitruants. Une autre particularité de “The Marine”, c’est que tout y explose. Un peu à l’image des jeux vidéos où il est possible détruire le décor, John Triton ne laisse que cendres sur son passage. C’est à se demander si ce n’est pas lui qu’il faudrait enfermer, tant il cause de dégâts. Chaque élément du décor un peu conséquent du film verra sa fin dans un invariable mur de feu prolongé pour certains par non pas une, ni deux, mais trois ou quatre explosions ! C’est à se demander combien de fois un hangar peut exploser avant d’être complètement réduit à l’état d’atomes brûlants. Le revers de la médaille, c’est que toutes ces flammes, ça coûte du pognon. Du coup, quand la moitié du budget est consacrée à faire péter tout ce que compte le film en voitures et bâtiments, il faut économiser ailleurs. Ce sont les décors qui en font les frais. On imagine que les marais dans lesquels John Triton part à la recherche de sa femme se voulaient, à l’origine du projet, touffus et étouffants, sombres et menaçants. On aurait pu voir John Cena combattre un alligator avant de le soumettre d’un STFU rageur. Il n’en est rien. Toute cette partie semble être filmée dans un acrobranche du pauvre, où quelques arbustes desséchés disputent la vedette à une ou deux mares d’eau croupie.

 

 

A défaut d’alligators, on aura droit à deux trafiquants de drogue, pour un autre grand moment de débilité. Alors que John Triton poursuit inlassablement les kidnappeurs de sa charmante épouse, il tombe dans un piège! “Comment ça ?”, se dit le spectateur médusé. “Serait-ce là un coup de maître de ce génie du crime qu’est Robert Patrick?” Non, ce sont deux trafiquants de drogue qui, summum de l’inventivité, dressent des pièges autour de leur zone de livraison. Y’a pas à dire, la drogue, ça crée des esprits retors et paranoïaques. C’est d’ailleurs très clair quand les trafiquants refusent de croire l’histoire d’un Triton pourtant de bonne foi, qui leur jure qu’il n’est pas là pour eux malgré le demi-sabre qu’il a dans la main et les hélicoptères dans le ciel. Ce passage est peut-être le plus satisfaisant pour le spectateur en mal de situations à haute teneur en stupidité. C’est d’ailleurs avec un sourire empli de contentement qu’on regarde John Triton leur régler leur compte et repartir vers de nouvelles explosions.

 

 


Vers l’infini et au delà!

 

 

 

Au final, il administrera à sa blonde un massage cardiaque qui lui a probablement pété toutes les cotes, non sans avoir au préalable exécuté le T-1000 et toute sa bande à grand renforts de moulinets, avec au passage quelques chokeslams, si si.

 

 


John n’est pas dupe: le T-1000 peut prendre toutes les formes!

 

 

De façon assez incompréhensible, The Marine est le plus grand succès de la WWE au cinéma, récoltant plus de 20 millions de dollars dans les salles, principalement aux Etats-Unis. Alors que le film enchaîne les lieux communs et les clichés, il faut croire que la notoriété de John Cena suffit pour assurer des recettes intéressantes. Les têtes pensantes des WWE Studios ont tiré la même conclusion, offrant de nouveau à Cena le premier rôle de leur dernier film, 12 Rounds. Si ce dernier semble être un abominable plagiat de Die Hard With a Vengeance où Jeremy Irons envoie Bruce Willis désamorcer des bombes aux quatre coins de New York, il n’en atteindra pas moins ses 15 millions de dollars aux box-office mondial, et sans doute la même somme sur le marché vidéo. A noter aussi qu’un The Marine 2 est en production avec Ted Di Biase Jr dans le rôle-titre. Aux dernières nouvelles, c’est son iguane qui se ferait kidnapper.

 

 


Prendre la suite de Cena dans le pire navet de tous les temps, ça c’est de la Legacy.


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