L'un des aspects les plus passionnants du catch, c'est l'entremêlement entre le personnage et la vie réelle. Je ne vois pas une seule discipline, que ce soit côté sport ou côté spectacle, où ces liens soient aussi étroits, en premier lieu à cause de la tendance de la WWE à brouiller régulièrement les frontières du kayfabe, mais aussi à cause de l'ère de l'information actuelle, où notre rapport aux catcheurs ne passe pas uniquement par l'absorption des shows mais aussi par la lecture des bouquins écrits hors kayfabe, la consultation des sites spécialisés, des comptes Twitter, etc. A ce titre, qu'un Steve Austin soit allé jusqu'à faire modifier son état-civil pour prendre comme nom à la ville son nom de catcheur est l'incarnation suprême de ce brouillage.
C'est pourquoi je ne partage pas l'avis de ceux qui affirment distinguer nettement le performer de l'homme. Difficile d'ignorer que nos quatre demi-finalistes sont, au-delà de leurs gimmicks passés ou actuels, respectivement le frontman d'un groupe de Hard rock FM de seconde zone, un tabasseur d'épouse, une ancienne diva reconvertie en zélote pontifiant et un queutard forcené violemment rétif aux joies du Dom Perignon. Leurs personnalités in-ring ont d'ailleurs, à divers degrés et à divers moment, intégré leur personnalité réelle... Cela étant posé, la question est de savoir quel coefficient accorder à ce que l'on sait d'individu derrière le catcheur. Si ce coefficient était maximal, alors je voterais sans hésiter pour Jericho et Punk, qui ont l'air d'être vraiment des mecs bien, as opposed to leurs adversaires du jour. Mais je n'irais pas jusque-là, ne serait-ce que parce que en dépit de toutes les informations que nous possédons à leur égard, je n'oublie pas que cette vision est forcément partielle et altérée. Bref, je tiens compte de ce que je sais de derrière les scènes, mais pas au point d'en faire l'unique élément de mon jugement.
Ce préambule étant posé, je vote sans hésitation aucune pour Jericho face à Austin. J'ai regardé par acquit de conscience plusieurs vidéos de ce dernier sur youtube, et de ce que j'ai vu, c'est un type qui a été un bon technicien avant sa blessure, puis un brawler furieux — une évolution qui rappelle celle de Triple H, soit dit en passant. Mais son personnage de Stone Cold, sur ce que j'en ai vu, ne m'inspire pas spécialement. Ouais, il fait des doigts d'honneur et boit de la bière. Et alors? Je connais une douzaine de gars comme ça. Oui, sa carrière a été plus glorieuse que celle de Y2J, mais c'est vraiment un critère secondaire ici (je rappelle que Flair et Hogan ne se sont même pas qualifiés pour la liste des 32, donc le palmarès et l'impact sur le business, c'est pour d'autres consultations!) Jericho, lui, m'a fait triper dès que je l'ai découvert, avec son petit bedon qui ne l'empêchait pas de voltiger, sa variété de prises, la vitesse de ses matchs contre Mysterio, l'alchimie parfaite qu'il développait avec tous ses partenaires et évidemment ses promos inimitables, certes parfois un peu répétitives, mais tellement jouissives. Et puis le gars enchaînait comme un damné, avec des semaines où on le voyait consécutivement dans un ppv, à Raw, à NXT, à Superstars, à Smackdown, toujours soucieux de tirer le meilleur de n'importe quelle situation, toujours prêt à se mettre en quatre pour mettre son adversaire (ou son rookie) over, bref un super pro, ultra talentueux, et un gars marrant et fun par-dessus le marché. Si n'était la passion irrationnelle que je voue à Randy Orton, il serait sans aucun doute mon catcheur favori.
De l'autre côté, je me laisse embarquer par la magie Michaelsienne, quand bien même le personnage ne m'attire pas plus que ça, c'est un euphémisme. Il était mon favori au milieu des années 1990, et il a su m'émouvoir à moult reprises quand j'ai repris le visionnage. Ca m'a fait un choc: j'avais laissé un bellâtre triomphant, pendant catchesque des chanteurs chevelus et expansifs des groupes de hard que j'écoutais à l'époque — Axll Rose, David Lee Roth, Sebastian Bach, you name it — et j'ai retrouvé un quadra dissimulant sa calvitie naissante, louchant considérablement, au bout du rouleau, désespéré, aux mains de l'affreux JBL... J'en avais d'ailleurs fait tout un article, qui traîne toujours
par ici. Pas fan de DX, où il m'a paru toujours jouer le second du mâle alpha, je l'ai vu refaire le coup des yeux de cocker avec la storyline de sa revanche sur le Taker, et sa réconciliation avec Bret Hart en début d'année aura été l'un de ces grands moments catchartiques (pas de faute de frappe, c'est un jeu de mots!) qui font la magie de l l'ignoble sport. Face à tout ça, il y a le magnifique Punk, mais un an de grande classe (grosso merdo de son turn à l'été 2009 jusqu'au début de l'effondrement de la SES mi-2010) ne suffisent pas à emporter mon suffrage face à un titan de la trempe de Michaels.
Fuck.