Everyday’s Night Main-Event

La postérité rend à chacun l'honneur qui lui est dû.

Tacite

 

Bonjour à toutes et à tous et bienvenue à la Spanish Announce Table, le seul endroit où sont nées les légendes, où les carrières ont été brisées et où je remplace pour cette review Le Charentais, malheureusement blessé, victime d'une odieuse agression par un escargot ailé.

 

 

Les quatre marionnettes préférées de Jim Henson et la favorite de Vince MacMahon.

 

Pourquoi John Cena est-il grand ?

La postérité rend à chacun l'honneur qui lui est dû.

Tacite

 

Bonjour à toutes et à tous et bienvenue à la Spanish Announce Table, le seul endroit où sont nées les légendes, où les carrières ont été brisées et où je remplace pour cette review Le Charentais, malheureusement blessé, victime d'une odieuse agression par un escargot ailé.

 

 

Les quatre marionnettes préférées de Jim Henson et la favorite de Vince MacMahon.

 

Pourquoi John Cena est-il grand ?

 

Une fois n'est pas coutume, il est temps pour moi, cher lecteur des CDCs, de lever un peu le voile opaque sur les mystères que cache la rédaction du site web que tu consultes avec une dévotion sans faille. En étant plus nombreuse, l'équipe muscle son jeu. Chacun se doute bien sur des avantages évidents d'une augmentation du nombre des petites mains qui écrivent. Mais le meilleur exemple pour en attester est la couverture de NXT-Redemption, d'ailleurs rebaptisée NXT-Oulipo dans nos locaux. Inutile de s'attarder aussi sur les bénéfices naturels de la multiplication des rédacteurs quand on évoque la joie et l'allégresse du groupe. Deux fois plus de participants pour nos soirées à thème "Triolisme et Double-Nelson", c'est mathématiquement plus de 1024 fois plus de possibilités dans le registre infini des plaisirs délicats et voluptueux mais quand même un peu sales parfois.

 

Attardons-nous plutôt sur les échanges de vues, parfois animés, qui habitent notre petite équipe, car le surnombre, ça nous donne aussi le loisir de communiquer et c'est ainsi qu'au détour d'une conversion mon collègue et ami Le Charentais, a lancé une énième pique à destination d'un John Cena qu'il a l'air de haïr de tout son coeur dans chacun de ses articles. J'ai alors proposé à la cantonnade " d'écrire un article pour expliquer à quel point John Cena est grand ". Au ton, singulièrement pâteux, de ma voix et à la lueur absente de mon regard injecté de sang, chacun a compris, immédiatement, que je venais de faire une de ces promesses qu'on regrette sitôt libéré de l'emprise des substances qu'on a ingérées. C'est donc à cause d'une réponse collégiale sous forme d'un simple "Chiche" aussi narquois que goguenard que je venais de m'engager dans un article sur le personnage le plus singulier de la WWE depuis des années.

 

Parce que, oui, c'est même une évidence de l'écrire : John Cena est le seul athlète de la fédération à accumuler autour de lui autant de critiques que de louanges, autant de regards aveuglés par un point de vue biaisé que de paroles de mauvaise foi, autant de sifflets que d'appplaudissements. C'est donc évidemment un sujet de choix, d'autant que, chaque année, et particulièrement celle-ci à l'approche de Wrestlemania, il semble plus encore cristalliser les attentions et exacerber les émotions. Mais c'est aussi et surtout un sujet casse-gueule. Car quand quelqu'un fait un playdoyer en la faveur du Marine ou au contraire commet un pamphlet un peu enflammé, il semble trop souvent céder à une réaction épidermique telle que celle que Cena suscite dans les stades. Et il semble oublier de mobiliser son appareil critique et sa raison.

 

– Allez, John, tire sur mon doigt !

(…) Putain, le salaud, il m'a piqué ma meilleure blague. (…)

 

 

C'est donc dans le registre de la raison que je vais essayer de rédiger mon opinion sur John Cena. Et pas vraiment pour esquiver les accusations de markisme ou de smarkisme, je ne crains pas les accusations d'idolâtrie excessive. Pour être tout à fait honnête, même, je suis en effet loin d'être un fan énamouré de John. Quand je pense à Cena, j'ai immédiatement en tête une liste d'une bonne dizaine de catcheurs en activité dont j'estime bien plus le travail in-ring que le sien et une demi-douzaine de gens dont le talent au micro me semble supérieur au sien. Je pourrais ainsi détailler à l'infini la cohorte des reproches qu'on lui fait à longueur de colonnes sur les sites spécialisés : du selling à géométrie variable à l'abus de séquences où il se met à parler plus bas pour mieux hurler juste après, en passant par le caractère monolithique de son gimmick. Mais j'avoue que ce qui est intriguant chez Le Marine, c'est l'alchimie propre à son personnage qui me semble véritablement inédite, digne d'intérêt et c'est elle qui met à jour toute la grandeur de John Cena.

 

Commencons la démonstration par deux tautologies bien senties. Toute compagnie de catch un peu sérieuse doit avoir un ou plusieurs "top-guys". Et tout comme le "Fave Fayve" de Booker T ne peut pas contenir plus d'une bonne dizaine de catcheurs, tout le monde ne peut pas être un top-guy. Il y a donc, au moment pour la fédération de faire le choix du push de tel ou tel vers cet horizon, tout un tas de paramètres à prendre en compte en dehors des qualités essentielles d'un performer in-ring. On cite souvent à la WWE, ce "It-Factor" qui permet à un catcheur d'emporter les foules dans l'histoire qu'il raconte par ce lien mystérieux qui s'appelle le charisme et qui n'a rien à voir avec le talent au micro, la manière de poser le story-telling des histoires qu'on cherche à raconter ou avec la faculté d'évoluer dans un ring. Le "It-Factor", c'est la zone grise du catch, un truc indéfinissable mais qui débouche sur la faculté d'attirer l'empathie des foules et le talent de la convertir en sentiments qui donnent au public des émotions réelles.

 

Pour être honnête, ce "It-Factor" a bon dos car comme c'est l'élément le moins mesurable parmi tous les attributs qu'on attend d'un catcheur, le promoteur de la fédération l'utilise souvent en tant qu'argument pour mieux cacher d'autres critères nécessaires à la construction d'un top guy et que le public n'est pas censé voir. La faculté d'être chaque jour au travail à l'heure, sobre et dans une forme optimale en est un exemple – et ceux qui en douteraient n'auront qu'à taper "Jeff Hardy vs Sting Victory Road 2011" sur leur clavier pour le comprendre aisément –. Celle d'être un excellent meneur d'hommes, un leader d'équipe capable de mettre un roster sur la voie de l'excellence en est un autre. Pour appliquer le vocabulaire de l'entreprise au vestiaire sportif, on pourrait aussi traduire cette exigence par "être un cadre qui applique le management par l'exemple". On pourrait citer aussi la faculté de bien parler devant un microphone en dehors des rings ou celle d'avoir un look plus ou moins présentable à la télévision.

 

Après son quinzième échec successif, John Cena a enfin renoncé à passer son brevet de secourisme.

 

Peu importe d'ailleurs, finalement, ce qu'est ce "It-Factor" réellement, on ne se soucie pas vraiment de ce qu'il est pour notre sujet, John Cena en l'occurence. Tout comme ici, d'ailleurs, il n'est pas nécessaire de préciser exactement ce qui constitue un Top-Guy et à partir de quel moment tel bon catcheur ou tel main-eventer devient un des éléments les plus en vue d'une fédération. L'essentiel est de comprendre qu'une fédération ne peut choisir que quelques personnes pour remplir ce rôle, que celui-ci aura pour but de créer un maximum de dollars en donnant envie au spectateur de payer pour le voir à la télévision ou en live, éventuellement même en dépensant de l'argent dans le merchandising. Bien évidemment, le public a son mot à dire à ce sujet. Il peut refuser en bloc une décision du promoteur sur tel ou tel catcheur en rejetant ce héros que la fédération lui propose pour tenter d'en imposer un autre, plus conforme à ses attentes.

 

Par contre, soyons précis. Quand j'emploie au paragraphe précédent le mot de "héros", il faut le prendre avec des pincettes et comprendre que je parle ici du sujet principal des histoires racontées et pas de son comportement dans le ring, où il peut aussi bien être un salaud qu'un exemple positif. On peut tout aussi bien construire une promotion de catch autour d'un babyface que d'un heel. Le meilleur exemple d'un top-guy est d'ailleurs un heel : c'est le Ric Flair que la NWA avait programmé pour en être l'incarnation par excellence. Avec son gimmick arrogant de Nature Boy piqué à Buddy Rogers, et ses capacités in-ring hors du commun, le Flair des années 80 était inégalable.

 

La formule de l'époque était bien rodée : Flair faisait la grande scène du premier acte à la télé chaque semaine, celle du type hyper doué dans le ring, flamboyant de suffisance au micro et qui semblait toujours trouver plus gratifiant de gagner contre son adversaire via un quelconque moyen retors. Fin du premier acte. Et début du second.

 

"Mesdames et messieurs, ce soir, dans votre ville ! En Main-event ! Le champion du monde, le Nature Boy, Ric Flair contre le champion de la promotion locale de la NWA ! "

 

 

– Moi ? Moins bon que Tupac ? Alors d'abord, c'était X-Pac, son nom, faut pas me prendre pour con. Et ensuite, il a jamais été champion du monde …

 

 

Flair faisait alors son numéro du match de championnat de trente minutes gagné in extremis contre "Hot Scott", le héros local qui en plus d'être catcheur, exercait aussi, en semaine, la profession de pompier. Le lendemain, le babyface de seconde zone pouvait parader dans sa caserne à l'angle de Main Street et Jefferson Avenue. Et Flair était lui déjà parti dans une autre ville pour refaire le même show contre un autre héros de province. Sept fois par semaine en six nuits (avec deux représentations le dimanche) et pas même de relâche le lundi où, Flair refaisait son show pour les prochains TV-Tapings.

 

Si cette stratégie d'un top-guy heel qui travaille comme un forcené et par les fruits de son labeur nourrit tout le monde était idéale pour la NWA à la structure fédérale, c'était quasiment dans l'ADN de la WWWF/WWF/WWE de fonder ses espoirs sur un personnage positif. Dirigée par les ancêtres de Vince MacMahon, elle répondait alors au modèle du "local hero", caricaturé plus haut, et quand le fils prodige a pris le pouvoir et voulu imposer son modèle aux autres territoires de la NWA, il était hautement plus intelligent de fonder sa promotion sur un Main-Eventer principal qui soit une figure positive, populaire et fédératrice pour partir à la conquête des autres territoires. C'est cette stratégie et ce business model qui président d'ailleurs aux destinées de la compagnie de Vince depuis.

 

L'immense problème avec un Top Guy Babyface, c'est qu'il faut réussir à rallier un maximum de gens sous sa bannière. Et s'il n'est pas très difficile, finalement, de se faire détester, il est bien plus compliqué de se faire aimer. Il suffit au heel de se comporter comme un salaud pour incarner son rôle mais le babyface doit avoir en lui, peu importent ses actes, un élément fédérateur qui fait de son gimmick un dénominateur commun qui relient tous ses fans dans le public. L'ancien modèle trouvait la légitimité du héros dans ses racines. La sympathie naturelle que le catcheur parvenait à générer, grâce à son art, était toujours renforcée par le background de son personnage. On croisait ainsi Dusty Rhodes, incarnation du rêve américain via son gimmick de fils de plombier devenu champion du monde, ou Bruno Sammartino, qui établissait un symbole de l'intégration réussie des italo-américains dans la société new-yorkaise après la seconde guerre mondiale.

 

– Zack, je vais maintenant t'apprendre un des trucs les plus essentiels du business : la faculté d'ajouter un peu d'humour dans un moment pourtant sérieux. Tu peux tirer sur mon doigt, s'il te plaït ?

 

 

L'évolution qu'a apportée Vince MacMahon dans l'éternel théatre de guignol des rings réside dans sa définition même du personnage principal. Au lieu de trouver les racines de son top-guy dans ce qui justifie son existence, le public en l'occurence, il va aller les chercher plus loin, dans le monde qui entoure les fans. Les personnages qui permettront à Vince MacMahon de transformer le business paternel, ont tous pour point commun d'avoir l'air de sortir de l'écran d'un film d'action, des cases d'un comic book ou même – saluons le génie marketing – de l'emballage d'une action figure. Les premiers top-guys de Vince seront donc de ce genre : des Sergent Slaughter (qui finira d'ailleurs par devenir une vraie action figure), des Ultimate Warrior, des Yokozuna et des Hulk Hogan. Et le prototype du Top-Guy de Vince MacMahon est né : il n'aura plus de racines populaires mais il sera Bigger Than Life, issu de la culture populaire. Et il sera donc condamné à en faire même éventuellement partie.

 

John Cena est un personnage au confluent de ces traditions inhérentes au business et des innovations que Vince MacMahon y a apporté. Il est l'aboutissement d'un long processus et d'une lignée de gimmicks qui en disent tous beaucoup sur leur époque. On ne dira jamais assez, par exemple, à quel point l'Hulkamania, éructant sa toute-puissance à la face du monde, fut l'illustration de la période reaganesque. Et l'évolution même du personnage de Cena nous renseigne beaucoup sur notre époque : des débuts où il a des airs de mauvais clone de Eminem (toujours cette culture populaire si chère à Vince MacMahon) puis un virage militariste en 2006 où il devient le Marine comme pour mieux incarner cette Amérique qui part en guerres après le 11 septembre.

 

Mais avant de détailler les aspects de la personnalité à l'écran de John Cena, voyons un instant son palmarès et sa carrière. Pour faire court et simple, disons simplement qu'il est un top-guy babyface pour Vince Mahon depuis sa victoire contre JBL à Wrestlemania 21. En 2005, sept ans donc. Un septennat entier à en donner au public pour son argent tous les soirs en Main-Event, champion ou non, avec tout ce que ça implique comme contraintes, comme responsabilités, comme stress, comme risques de blessures aussi (Cena a été particulièrement épargné avec seulement quatre mois). C'est une longévité remarquable et qui, même si elle est peut-être imputable aux incapacités de Vince Mac-Mahon à se renouveller, mérite comparaison. Sept ans avant sa retraite, Stone Cold Steve Austin était un jobber à la WCW. Sept ans, c'est l'intégralité de la carrière du Rock à la WWE du premier au dernier match avant son départ pour Hollywood. Aux Survivors Series 1990, sept ans avant le Montreal Screwjob, Bret Hart était encore en équipe avec Jim Neidhart. Même en contemplant l'immense carrière de Shawn Michaels, il est difficile de trouver sept ans d'affilée où le Heartbreak Kid a été au top de la hiérarchie sans interruption.

 

 

– Vous savez, Colonel Trautman, le catch ça tient à peu de choses. Au départ, je devais jouer le rôle de l'héroïne de roman préférée de Kelly Kelly : The Martine. Comme dans The Martine à la plage, tout ça … Et puis, il a eu une faute de frappe sur le script, on a improvisé et voilà …

 

 

La comparaison que je viens d'effectuer vaut ce qu'elle vaut. Je ne suis pas en train d'avancer que John Cena mérite une place plus haute dans le panthéon du catch que certains des lutteurs que j'ai cités. Mais les faits sont là, tenaces : John Cena a été plus longtemps le top-guy de la WWE que tous ceux-là. Comparé à toutes ces légendes vivantes, six ans quasiment ininterrompus avec le même personnage au plus haut niveau, celui où la ceinture est toujours plus ou moins en ligne de mire, sept ans en Main-Event au total, c'est de quasiment de l'inédit. Il faut se replonger dans les archives et aux plus grandes heures de Ric Flair ou d'Hulk Hogan pour pouvoir trouver quelqu'un qui l'égale ou le dépasse. Ce n'est bien entendu en aucun cas une compétition. John Cena a peut-être été le "right man in the right place at the right moment" pour le business de Vince MacMahon, mais il n'a pas pu être que cela, pas si longtemps en tous cas, sans posséder un certain nombre de qualités.

 

Beaucoup reprochent à John Cena un niveau in-ring parfois approximatif, l'exemple le plus criant de toutes les critiques à ce sujet étant probablement cette "abdominal stretch" à Chicago cet été contre CM Punk. Effectivement, la prise était mal appliquée et n'importe quel lutteur amateur l'aurait réalisée d'une manière plus convaincante. Mais elle n'était pas non plus complètement fantaisiste et les approximations dans l'éxécution du mouvement de soumission n'empêchait absolument pas la compréhension du récit développé pendant le match. Et là encore, un regard global sur la carrière de John Cena plaide en sa faveur. Quoiqu'on pense de son talent, ses performances en Pay Per View sont plus qu'éloquentes. Mieux, il a donné à de nombreux catcheurs l'un des meilleurs matchs de leur carrière, si ce n'est le meilleur. On citera, en vrac, parmi les heureux bénéficiaires des gens aux palmarès, styles et gabarits aussi différents que CM Punk, Umaga, Rob Van Dam et même le Great Khali.

 

Et même si John Cena n'a peut-être pas accroché à son palmarès beaucoup des meilleurs combats de l'histoire de la WWE, le Marine n'a jamais vraiment réalisé un mauvais match. On peut bien sûr trouver ici ou là des matchs mal bookés, des mouvements botchés, du selling approximatif, des détails mais, jamais, John Cena n'a fait un mauvais match en Pay Per View. Amusons-nous, juste un instant, au petit jeu des comparaisons. Le Main-event de Judgement Day 2007, John Cena vs The Great Khali n'est peut-être pas un classique qui restera dans l'histoire mais il vaut largement mieux que le match de Wrestlemania IX entre l'Undertaker et le Giant Gonzales. Et la comparaison entre les talents des deux géants, aussi mauvais l'un que l'autre, rend plus que valide l'exercice. De la même manière, le final du Wrestlemania de l'an dernier entre Cena et le Miz était assez moyen mais il n'a pas à rougir en face du Triple H vs Randy Orton de Wrestlemania XXV. Histoire de céder totalement à la perfidie, ce qui m'arrive, je le concède, trop souvent quand on en vient à parler de Triple H, John Cena n'a peut-être pas la réputation in-ring que possède The Game mais, quand à la fin de la carrière des deux, on inspectera leurs performances en PPV, on ne découvrira pas sur le CV de John Cena des tâches ausi sombres que celles que constituent un Triple H/Scott Steiner ou un Triple H/Vladimir Kozlov.

 

 

– On va tous faire une grande expérience de télévision interactive. Placez-vous bien devant votre écran. Tout le monde est installé, c'est bon ? Et maintenant, à trois, vous tirez tous sur mon doigt. Un … Deux …

 

 

Au chapitre des choses qu'on dit trop peu sur Cena et qui plaident en sa faveur, il convient aussi de remarquer deux choses. D'abord sa quasi-absence sur une grande partie des sites web que l'IWC fréquente et adore, ceux qui traitent des rumeurs. A une époque où plus que jamais, les moindres anicroches backstage, réelles ou supposées, font émerger des informations, plus ou moins fantasmées, d'animosité entre tel ou tel, ou de pseudo-caprices de celui-ci ou celui-là, sur John Cena, rien. Aussi bizarre que cela puisse paraître, jamais, les cerveaux pourtant fertiles des affabulateurs et autres pseudo-reporters des coulisses, n'arrivent à dire quelque chose qui pourrait écorner sa réputation de professionnalisme sans faille. Et pour renforcer ce point, il faut aussi se rappeler ce que la WWE s'efforce de nous faire oublier depuis des années et qui est peut-être le plus grand accomplissement de toute la carrière du Marine : il a su résister à la crise profonde qui a touché la WWE en 2007. L'affaire Chris Benoît a été probablement la pire tourmente que la WWE a traversé, non seulement parce qu'elle placait la fédération au centre d'un feu médiatique qui rappelait tous les travers du business mais aussi parce qu'elle ébranlait les certitudes de tous ceux qui étaient à l'intérieur. Benoit n'était pas un catcheur qui s'était repenti d'une vie dissolue, comme Eddie Guerrero, non c'était un de ceux qui étaient le patron dans les vestiaires, le type qu'on citait en exemple à tous les rookies quand il fallait leur désigner un modèle à suivre, c'était selon l'expression consacrée le "meilleur d'entre nous".

 

Et à ce moment où la stupeur était à son comble en interne et la WWE critiquée à l'extérieur, John Cena a été exemplaire quand il a fallu aller réagir sur ses plateaux télé où il n'était pas question de parler d'entertainment. Il a été parmi les très rares catcheurs capables de surmonter leur peine ou leur envie de ne surtout pas être associé à cette histoire même de loin. Il a été de ceux qui ont pris le risque d'aller face aux caméras pour dire leur peine, leur incompréhension mais aussi tenter de défendre la WWE et le business. Il a assumé son rôle de Top guy, là où tant d'autres ont fait défaut à Vince à cet instant précis.

 

L'Undertaker ? Son gimmick morbide l'interdisait. Triple H ? Ses liens familiaux avec Vince et son amitié avec Hall, Nash et consorts le disqualifiaient. HBK ? Son passé le rattrapait. Stone Cold Steve Austin ? Son casier judiciaire pour violences conjuguales faisait plus que mauvais genre. Edge ? Trop touché personnellement et vu les révélatons des mois à venir, ça a été une vraie bénédiction pour sa carrière. Hogan ? Il avait déposé au tribunal contre Vince dans une affaire de stéroïdes. Batista, les frangins Hardy, Booker T ? Soyons sérieux un instant. Le Rock ? Il était soucieux de faire profil bas pour ne pas entâcher sa future carrière hollywoodienne.

 

– Ecoutez, monsieur, c'est un ring de catch, vous ne pouvez pas rester là, il faut partir, sinon, je vais être obligé de vous péter la gueule.

– Mais … je suis ton père …

– Oh putain, les gars, venez vite ! C'est Dark Vador sans son masque.

 

Pour faire court, il est allé au charbon à un instant critique de la vie de l'entreprise qui l'employait alors que l'énorme majorité des stars que Vince avait faites se trouvait dans l'incapacité de le faire. Dans la longue liste des top-guys sortis des usines WWE, seul Mister Kennedy (et fort mal, d'ailleurs, ça lui coûtera sa place et sa carrière), Chris Jericho, Bret Hart (tous deux hors de la compagnie à ce moment) et John Cena ont, dans ces moments-là, assumé leurs responsabilités et fait le boulot nécessaire pour redorer le blason entâché de sang du business.

 

C'est sur ce dernier argument que je tiens à terminer ma démonstration pour rappeler ce qui sera demain une évidence : Quoiqu'on pense de John Cena ici et maintenant (ou hier et ailleurs), quand toutes les carrières qu'on adule ou qu'on aborrhe seront dans les livres d'histoire, la sienne aura une place plus importante que toutes les autres. Non seulement parce que John Cena a passé plus de temps au sommet que n'importe qui ou presque, mais aussi parce qu'il a défini son Ere à lui. Tout comme Stone Cold, le Rock & DX première mouture avaient défini l'Attitude Era, tout comme Hogan avait porté la Golden Era sur ses épaules, John Cena incarne la PG-Rated Era.

 

Mais, paradoxalement, c'est son omniprésence au plus haut niveau et son association immédiate avec une époque bien précise de la compagnie qui définit aujourd'hui le mieux le côté le plus critiqué du personnage, détermine les réactions du public et alimente tous les débats. Jamais un top guy n'avait été au centre de tant de polémiques, jamais un babyface n'avait été autant sifflé et surtout jamais un catcheur n'avait autant monopolisé l'attention.

 

 

– Papa, Papa, t'as vu ? Je suis caché.

– Non, John, non … On te l'a déjà expliqué, pourtant. C'est pas parce que tu ne vois plus les gens qu'eux ne peuvent plus te voir.

 

 

Vous voulez savoir qui demain sera une star capable de succéder au Marine ? Alignez-le en un contre un contre John Cena et écoutez le public. S'il chante "Let's Go Cena"/"Cena Sucks", vous avez misé sur le mauvais cheval. S'il incorpore l'adversaire à ses chants et répond "Let's Go Cena" "C.M. Punk", par exemple, vous aurez réussi. Cette dichotomie dans le public est constitutive du personnage. Elle est due évidemment à la lassitude des fans vis à vis d'un personnage monolithique qui a trop peu changé ces dernières années mais pas uniquement, beaucoup croient siffler avec John Cena une certaine vision du catch.

 

Là, il y a clairement de l'incompréhension. Il faut considérer le fait que peu de gens comprennent ce qu'est réellement la PG-Era et croient, bêtement, qu'elle est l'inverse de l'Attitude Era. D'ailleurs ceux qui font cette confusion sont en général, ceux qui nomment l'Ere Cena la Kidz Era. Mais c'est un contre-sens profond car la période où Cena régnait sans partage et où le produit était clairement orienté tout public n'était que la suite logique de l'Attitude Era.

 

Un petit point d'histoire pour bien comprendre, l'Attitude Era a débuté aux alentours de 1997. Peu importe d'ailleurs la date exacte : certains placent son début avec le Montreal Screwjob (c'est en effet aux Survivors Series 97 que le mot Attitude apparait pour la première fois à l'antenne), d'autres avec la victoire de Stone Cold Steve Austin au King Of The Ring avec son fameux Austin 3:16. Et elle amorce son déclin avec la fin des Monday Nights Wars en 2001. Schématiquement, c'est l'application pendant 4 ans par la WWE d'une formule en rupture avec celle employée par le passé ; l'objectif étant de résister à la concurrence de la WCW. Au programme, un produit plus adulte avec des storylines plus explicites, des scènes plus graphiques et un vocabulaire plus coloré. Du nibard, du sang et des majeurs levés à gogo pour faire très rapide. Cette stratégie a permis à la WWE de conquérir un nouveau public, essentiellement adolescent, basé sur le segment marketing des hommes de 15 à 25 ans.

 

– Bon, Zack, on va la refaire tout doucement … Et la prochaine fois, tu tires pas sur ma main mais sur mon doigt. OK ?

 

 

Pour des raisons de commodité, on va considérer que la PG Era commence au moment du virage militariste de Cena en 2006. Là encore, on peut, éventuellement chipoter sur les dates et trouver un instant antérieur ou postérieur de quelques mois sur le calendrier, mais ce n'est pas le propos. La question essentielle à se poser est celle de l'âge d'alors des fans que la WWE a choyé de l'Attitude Era : entre 34 ans pour les plus agés et 20 ans pour les plus jeunes. Autant dire, pour faire court que depuis que John Cena est le Marine, le programme de la WWE est destiné à ces gens-là qui n'ont pas forcément envie de regarder la télé le lundi soir pour voir des nibards et des types qui s'aspergent de bière pas parce qu'ils n'apprécient plus ça mais parce que sur le canapé, à côté d'eux, il y a une femme et même éventuellement une progéniture. Je concède que le résumé est schématique mais la vie l'est tout autant, à partir d'un certain âge situé en général dans cette tranche, en général, on s'installe en couple et fonde une famille.

 

Le conservatisme des fans de catch et le bon vieux refrain du "c'était mieux avant" fait le reste sur la fan-base : Madame adore John Cena, Monsieur l'apprécie un temps mais se lasse vite car il regrette le temps béni de sa jeunesse insouciante et bien sûr les enfants l'adorent. Puis les enfants grandissent, cessent de regarder le catch avec des yeux d'enfants, découvrent que le kayfabe et le réel sont deux choses différentes, brûlent les idôles qu'ils ont autrefois adorées, et se mettent à siffler John Cena. Là, encore, le résumé est succint, trop riche de raccourcis mais globalement, ça s'appelle l'adolescence et ça va en général de concert avec une forte appétence pour les nibards, la bière et les majeurs levés à la face du monde. La boucle se referme sur elle-même, telle un anneau de Moëbius. Et les forums internet peuvent exploser de discours enflammés sur cette Attitude Era défendue par des gens qui n'en ont pas vu une seule minute en direct et la trouve bien mieux que tout ce qu'on leur donne de nouveau chaque semaine. A ce moment précis, la logique même du business voudrait qu'un nouveau cycle commence : John Cena, comme Austin, le Rock, Hogan et tant d'autres avant lui, effectue un heel turn.

 

Mais c'est à cet instant-là, justement, que John Cena innove et qu'au lieu d'ajuster son attitude pour répondre aux attentes du public, il ne change rien. Et la WWE décide qu'il vaut mieux un avoir un personnage qui remplit les enceintes qu'elle visite de hurlements contradictoires plutôt que de silences embarassants. La décision de booking est d'autant plus aisée à prendre d'ailleurs que John Cena a très tôt démontré une vraie appétence pour l'exercice et une vraie faculté à évoluer dans un environnement hostile. Son match contre RVD au Hammerstein Ballroom de New-York face à un public de l'ECW qui le déteste (et qui adore le détester) en est la meilleure preuve.

 

 

– Eh, Hunter, j'en ai une bien bonne.

– Ta gueule, John ….

 

 

John Cena va donc, progressivement, imperceptiblement, au cours des six dernières années changer son gimmick sans que personne ne s'en aperçoive. Il va cultiver l'art de dire un mot ou de faire un mouvement qui suscite autant les vivas de ses fans que les sifflets de ses détracteurs. La performance est absolument remarquable mais totalement sous-estimée car inédite. Jamais personne auparavant dans le grand business du catch ne s'était essayé à tel exercice. Bien sûr, on trouvait ici ou là des exemples de personnages de catcheurs étrangers qui se faisaient siffler aux Etats-Unis mais applaudir dès les frontières passées (Bret Hart, en particulier, réussissait cet exploit) mais personne avant John Cena, ne pouvait réussir à provoquer des réactions aussi épidermiques et antithétiques dans la même enceinte.

 

Jamais, on ne dira combien c'est exceptionnel ce que réalise John Cena avec ce personnage. C'est un véritable tour de force qui, à lui seul, résume le catch à sa plus essentielle expression : susciter les émotions du public. Car c'est bien de ça dont on parle au final. Le catch, c'est un art qui ne relève pas de la meilleure manière d'appliquer une souplesse en avant ou en arrière, ni un exercice où celui qui discourt le mieux l'emporte à la fin. Non, le catch, c'est du théâtre à la puissance mille, avec une toute petite scène entourée de seulement douze cordes et des centaines voire des milliers de personnes tout autour qui ont des émotions, grâce à un ou deux types qui sont là, au milieu d'eux.

 

John Cena réussit, soir après soir depuis des années, quel que soit le lieu et son adversaire, à faire du catch ce qu'il est vraiment : un pur concentré d'empathie collective. C'est d'ailleurs pour cette raison que son personnage est dérangeant jusqu'à en devenir frustrant. C'est parce qu'il dévoile aussi la régle la plus importante du business, celle que même le fan le plus assidu n'est pas censé voir et qui doit rester cachée à ses yeux : En catch, le personnage – le gimmick pour parler smart – n'est rien, c'est ce que le public projette sur lui qui fait tout.

 

 

– Pitié, arrêtez aux CDCs avec vos blagues à base de "Tire sur mon doigt". Elles sont pas drôles, il me fait chier ce running-gag à la con.

 

Avec une telle définition, totalement inédite, de son gimmick, qui n'est finalement que le réceptable des émotions du public, Cena n'est pas seulement un personnage à part mais aussi un personnage qui échappe aux lois traditionnelles du catch. Et toute la construction de sa feud avec le Rock va s'en ressentir. Le déroulé des événements, mené avec un brio presque insoupconnable tant il est subtil, est exemplaire.

 

Evidemment, l'affrontement inévitable entre les porte-drapeaux de deux époques distinctes, est différent de tout ce qu'on a vu auparavant. Parce que John Cena est atypique et sans aucun équivalent dans le business et parce que le Rock, avec son agenda hollywoodien, est loin d'être disponible. Cena devra donc porter seul, la plupart du temps, la construction d'une histoire commune aux deux. Comme toute rivalité, la feud va s'adresser aux fans en jouant sur le bon vieux couple anticipation/frustration, l'un des ressorts les plus classiques du catch et du storytelling en général. Seulement au lieu de baser sur un événement classique et banal "Le babyface va botter les fesses au heel qui lui pourri la vie depuis des lustres", elle va s'attaquer à deux thèmes d'une manière totalement originale.

 

Le premier point consiste en un tour de passe-passe absolument génial que personne n'a détecté. La conclusion attendue du match de Mania, on la connaît (et l'anticipe) tous : c'est cette image finale où on voit un catcheur triomphant terminer son match de PPV les bras au ciel au milieu du ring, tandis que son adversaire est KO à terre. C'est l'élément final de cette feud, son épilogue, celui que tous les suiveurs de la WWE doivent attendre depuis des mois. Comment réussir à construire une histoire alors que Cena doit tous les jours assurer le Main-Event tandis que le Rock sera absent la plupart du temps ? Et bien la réponse est simple : ne jamais permettre à John Cena d'être dans cette situation dans les moments importants qui précèdent cet événement.

 

– Et là, je croise Eve et je lui dis qu'elle est super bronzée. Je lui demande où elle est allée en vacances. Et tu sais ce qu'elle me répond ?

– A la plage ?

– Mais, non, elle me dit : "Au ski".

– Pourquoi ? Elle aime pas la plage ?

 

Dis, tu te souviens de la dernière fois que John Cena a été présenté comme tel dans un PPV ? Non ? Bien, alors regardons ensemble et à rebours, les pérégrinations de John Cena lors des derniers grands rendez-vous de la WWE :

 

Elimination Chamber : Contre Kane, John Cena triomphe dans un ambulance match. Il triomphe, certes, mais la stipulation est telle qu'il n'est pas en situation de lever les bras en signe de victoire au milieu du ring.

 

Royal Rumble : Contre Kane toujours. Match nul : Double Count Out. A l'extérieur du ring toujours.

 

TLC : John Cena est absent de la carte, fait rarissime.

 

Survivor Series : C'est le deuxième acte in-ring de la feud Cena/Rock (le premier étant Mania où le Rock coûte le titre au Marine) et si les deux triomphent en équipe, c'est le Rock qui terminera le show seul debout au milieu du ring tandis que Cena est étendu au sol.

 

Vengeance : John Cena ne vient pas à bout d'Alberto Del Rio. Qui plus est, pour des raisons techniques, il aurait été bien incapable de triompher dans le ring à la fin du show puisque celui-ci était en charpies, victime des dommages collatéraux de l'affrontement Mark Henry/ Big Show.

 

Hell In A Cell : Là encore, Alberto del Rio triomphe en employant un tour pendable et enfermant Cena hors de la cage. En l'empêchant d'accéder au ring, là encore.

 

Il faut donc remonter à Septembre 2011 pour voir John Cena en vainqueur au milieu du ring lors d'un PPV.

 

Voilà, en gros, tout le build-up de cette feud. La ficelle du scénario qui te titille le désir de voir Cena vs The Rock à Wrestlemania, elle est là. Cela fait quatre mois qu'on t'a implanté l'image subliminale d'un Rock qui triomphe de Cena dans le ring et, paradoxalement vu les emplois du temps des deux, ça fait plus de six mois que tu n'as pas vu John Cena finir un grand match comme le fait traditionnellement un babyface triomphant.

 

L'entourloupe, pourtant simple et basée sur un élément purement formel, est d'autant plus forte que personne aux Cahiers du Catch, un site pourtant conscencieux et qui n'hésite pas à se dire smart, ne l'a vue pendant tout ce temps. Et inutile de nous auto-flageller pour cette omission, nous ne sommes pas les seuls. J'avouerais même que si The Masked Man n'avait pas évoqué sur Grantland.com ce sujet du ring, toujours absent de la storyline Kane/Cena, je ne l'aurais pas détectée.

 

 

– Oh, oui … John.

– Tu sens bien que ce n'est plus mon doigt, hein ?

 

 

C'est en effet avec une ficelle du même genre que la WWE va traiter toute cette rivalité. Presque l'intégralité de cette feud aux allures de Série Z se déroule en dehors du ring. Tous les rebonds scénaristiques, du chokeslam sur Zack Ryder au baiser à Eve – la tentatrice originelle – ont lieu backstage. La conclusion des matchs avec le Big Red Monster, de nouveau masqué pour l'occasion, a évidemment lieu, hors du ring. Toute l'intrigue de cette storyline semble bien fade, son traitement à l'antenne interloque tant il est parodique et sa conclusion, anticipée par tout le monde, ne surprend personne.

 

Il serait pourtant assez présomptueux de ne voir dans cette altercation qu'un bouche-trou destiné à combler le planning de John Cena entre Survivor Series et Wrestlemania. Cet interlude va en effet être une occasion en or de commencer le build-up de son match du premier avril d'une manière symbolique assez réjouissante. Le choix de l'adversaire est loin d'être anodin. Je rappelle rapidement la date de naissance de Kane (Bad Blood 1997, au PPV qui précède le Survivor Series du Montreal Screwjob) et celle de son abandon du masque (2002). Pour ceux qui n'ont pas la mémoire immédiate des dates, remontez de quelques paragraphes et relisez celui qui débute par "Un petit point d'histoire pour bien comprendre". Compris ? Il n'y a pas de meilleure incarnation de l'Attitude Era qu'un Kane masqué dans tout le roster de Stamford.

 

La constance à éloigner Cena des rings pour toute l'intrigue a évidemment pour objectif de le présenter dans une situation où il n'est pas censé être aussi à l'aise que lors de son travail quotidien. On se rappelle opportunément le "This is my office" que Cena lance au Rock à la veille de Mania pour désigner le ring et cette phrase permet de bien comprendre cette volonté des scénaristes de déplacer l'action. J'avoue par contre ne pas encore avoir bien saisi le sens de la dimension "second degré" totalement assumée dans le traitement de cette histoire. Etait-ce un clin d'oeil des auteurs qui voulaient inscruter John Cena dans un film de Série Z avant qu'il n'aille affronter à Mania un acteur de série B ? L'hypothèse me plaît mais j'ai du mal à croire qu'elle ait échappée à la vigilance de la famille MacMahon. Celle-ci m'a l'air réellement convaincue que le Rock est LA superstar maison qui a le mieux réussi à Hollywood. Sans vouloir polémiquer d'ailleurs sur la carrière cinématographique de Dwayne Johnson, notons juste que si un seul membre du management de la WWE avait regardé la cérémonie des Oscars, il aurait assez vite remarqué l'absence de ce dernier et peut-être même aurait reconnu sur de nombreux plans de caméra un visage fort famillier.

 

– Vince, mon personnage tourne en rond. Ce serait bien de le renouveller.

– Pas de problème. J'ai eu une super idée. La prochaine fois, tu tends deux doigts, comme ça. Et tu dis "Tire sur mes doigts."

 

Après avoir sevré Cena de ring pendant tout cet intermède, la WWE ira même encore plus loin et lancera le build-up de Mania du côté du Marine via une longue promo réalisée dans une arena vide. Là, encore, l'objectif est de présenter le poster-boy de la WWE dans une situation inhabituelle pour insister sur la gravité de l'instant. Après avoir été privré de ring pendant des semaines, Cena est maintenant privé de public. Un comble pour un catcheur dont le gimmick est justement de n'en avoir aucun et de n'être que le réceptacle des émotions, variées, des fans. Les amateurs à la mémoire longue remarqueront de surcroît que ce type de segment vidéo, interview dans des gradins vides, est très peu utilisé par la compagnie et que son usage le plus marquant a été réalisé avec le Texas Rattlesnake en amont du Wrestlemania où celui-ci effectuera son heel-turn. Jolie manière, donc, de ranimer les braises de cette arlésienne du catch qu'est un éventuel turn du Marine alors même que la feud contre Kane et sa conclusion si prévisible semblait annoncer le contraire. Là encore, le couple anticipation/frustration joue à plein.

 

Mais c'est dans ses confrontations verbales avec le Rock que John Cena va aller encore plus loin en allant très régulièrement et ostensiblement au delà du quatrième mur, celui qui sépare l'acteur du public. Evidemment, il y avait cette remarque un peu perfide sur les anti-sèches du Rock lors de leur première altercation verbale. Ce n'est pas forcément la plus subtile du lot dont va nous gratifier John Cena, mais c'est la première et elle permettra à tout le monde d'ouvrir l'oeil pour voir si Cena brise encore une fois, même un tout petit peu, le kayfabe. Et dès la semaine suivante à Boston, Cena recommence. En terminant son main-event par la révérence typique de l'acteur qui salue, en plein milieu du ring, avant d'aller communier avec les fans. Ce procédé de rupture de la convention que tous sont censés accepter, utilisé de manière discrète – à l'inverse de CM Punk qui en a fait une partie intégrante de son gimmick – permet bien évidemment d'amener du réel dans l'antagonisme entre les deux compétiteurs de Mania.

 

Voilà, en gros tous les arguments que j'ai trouvé pour expliquer pourquoi John Cena est si grand. Parce qu'il a réussi, plus que tout autre, à prendre une place majeure dans l'histoire de la WWE et parce que le travail qu'il a effectué cette année, même s'il apparaît un peu fade, est bien plus subtil qu'il n'y paraît au premier abord. J'espère que ces arguments vous convaincront et, sinon, l'article paraissant le premier avril, prenez-le pour un poisson.


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