L’ultime

Adieu guerrier illustre : ton courage dans le malheur inspire de l'estime à ton ennemi le plus acharné.

Lautréamont, Les Chants de Maldoror

 

Bonjour à toutes et tous et bienvenue à la Spanish Announce Table, le seul endroit où sont nées les légendes, où les carrières ont été brisées et où on va secouer les cordes jusqu'à ce que nos cœurs cessent de battre…

 

 


Ultimate Warrior, Guerrier et catcheur ultime.

 

 

In memoriam Warrior

 

Adieu guerrier illustre : ton courage dans le malheur inspire de l'estime à ton ennemi le plus acharné.

Lautréamont, Les Chants de Maldoror

 

Bonjour à toutes et tous et bienvenue à la Spanish Announce Table, le seul endroit où sont nées les légendes, où les carrières ont été brisées et où on va secouer les cordes jusqu'à ce que nos cœurs cessent de battre…

 

 


Ultimate Warrior, Guerrier et catcheur ultime.

 

 

In memoriam Warrior

 

 

 

Un riff de guitare et une forme, à peine humaine, qui déboule à toute allure vers le ring. Costume de catcheur traditionnel, certes, mais bariolé, physique de body-buildeur, tous les mucles tendus, prêts à exploser, seulement retenus par des cordelettes à franges, visage peinturluré. Et le public qui assiste à l'évènement qui explose, comme de la poudre qui s'enflamme suite à l'étincelle créée par une telle débauche d'énergie.

 

Allez, soyons clairs et osons la comparaison chiffrée, si The Rock est « The Most Electryfying Man in wrestling history », c'est juste du 2,5 Volts comparés aux 220 Volts du Warrior. L'entrée du type dans le ring n'a rien de comparable avec quoi que ce soit de rationnel.

 

L'Ultimate Warrior n'était pas un grand catcheur, en tout cas pas au sens traditionnel du terme. Ce n'était ni un « ring général » à la manière d'un Harley Race, ni un perfectionniste du storytelling comme Randy Savage, ni un expert en manipulation des foules comme Jake The Snake Roberts. Non. Mais il avait un charisme d'une intensité immense que personne n'a jamais su égaler depuis.

 

 

 

Moi aussi, je sais secouer les cordes.

 

 

 

L'entrée du Warrior dans une enceinte fermée et son arrivée vers le ring, n'avait rien de semblable avec celle de tous les autres performers de son époque et elle n'a rien de comparable avec quoi que ce soit d'actuel. C'était une expérience d'un autre temps, d'une autre dimension. Allez, lâchons de suite le mot, presque un phénomène chamanique. Le type arrivait en transe, par je ne sais quel processus qu'il nommait « Warrior Spirit » mais qui était probablement induit par l'ingestion de substances étranges préparées lors d'un rituel mystique réalisé à la pleine lune dans sa base secrète de Parts Unknown. Et sa transe, magiquement, se transmettait à la foule qui y succombait avec un abandon total.

 

Et quand j'écris abandon total, ce n'est pas une métaphore, hein, c'est la pure réalité. Le charisme du type était tel qu'il était capable de réaliser les plus grands miracles du wrestling-business : celui de terminer le régne de 15 mois du plus champion intercontinental de tous les temps en seulement 27 secondes, celui de suspendre le disbelief de ses auditeurs dans un discours où il invoquait des esprits pour détourner un avion, celui de foutre la patée à Phil Collins (ce qui est un peu le rêve mouillé de tout mélomane) , celui de faire boire des paroles qui n'ont absolument aucun sens, celui, surtout, de créer l'illusion qu'il était monstrueusement bon dans un ring alors qu'en toute objectivité il était plutôt médiocre.

 

 

 

Moi aussi, je suis un guerrier !

 

 

 

C'était une sorte de chaman peinturluré, il s'appelait Warrior. C'était devenu son nom de famille. Et il venait juste d'entrer au WWE Hall Of Fame après des années de disputes avec la fédération qui l'avait vu atteindre les sommets. Il était allé là-bas donner un dernier rush d'adrénaline et de Warrior Spirit à ses fans qui ne l'avaient pas oubliés et pas autant méprisés que la fédération qui l'avait porté au pinacle avant de dire tout un tas de choses désagréables à son propos. Pourquoi ? Notamment parce qu'il avait changé son nom légalement pour s'appeler Warrior et ainsi se sortir d'une querelle de droit à l'image. Il est mort aujourd'hui après avoir enfin fait la paix avec ses anciens plus fervents détracteurs et délivré un discours de Hall Of Fame qui était à la foi fidèle à sa légende et avait déjà des accents de rédemption.

 

Dans le monde étrange du catch, où les symboles comptent plus que tout et où chaque vraie superstar s'efforce de construire sa propre mystique, le Warrior avait enfin terminé sa tâche, commencée vingt-cinq ans auparavant. Et il n'avait finalement plus rien à faire dans ce monde. Il avait déjà tout accompli, probablement trop tôt, trop vite et avec pas mal d'incompréhensions au passage.

 

 

 

Moi aussi, j'avais le facepainting.

 

 

 

 

Si l'on parle de la carrière de l'Ultimate Warrior, la première chose à dire, c'est qu'il a débuté dans une équipe appelée The Bladerunners avec, comme partenaire, un homme que vous connaissez désormais sous le nom de Sting et comme manager un certain Dutch Mantell qui traine toujours aux abords des ring sous le nom de Zeb Colter. A peine un an et quelques fâcheries plus tard, le type part vers le Texas et fait ses classes chez la famille Von Erich d'abord en équipe puis en solo. Son nom d'alors : Dingo Warrior. Le gimmick ne sera que temporaire puisqu'il deviendra rapidement The Ultimate Warrior pour Vince McMahon.

 

En France, le nom nous fait sourire parce que « dingo » fait forcément penser à autre chose qu'à l'animal et à l'Australie. Il nous fait d'autant plus sourire, même, avouons-le parce que le Warrior était effectivement un peu frappadingue et que la WWE nous a dit depuis des années qu'il l'était complètement. Alors, certes, le type avait ses défauts. Plein, même, mais franchement, était-il le seul catcheur de l'époque à en avoir ? Toutes les idoles de notre enfance (et pas mal de celles qui trainent encore actuellement dans les rings de la WWE) étaient des personnages idéalisés et les gens qui les interprétaient étaient en réalité des types assez peu fréquentables dans la vraie vie, souvent drogués, mégalomanes, empreints d'une culture machiste apprise dans les vestiaires de sports.

 

La WWE, en écrivant sa légende à coups de documentaires et d'inductions dans son Hall Of Fame, avait gentiment gommé ses aspects de toutes nos idoles. Elle parlait pudiquement d'une superstar qui « combattait ses propres démons » pour parler d'un type chargé comme une mule qui se mettait n'importe quoi dans le système pour tenir le rythme de ses plannings infernaux. Elle évoque, même encore de nos jours, The Kliq comme étant un groupe de catcheurs amis dans la vraie vie, alors que ce n'était qu'une bande d'alliés professionnels de circonstances prêts à tous les coups bas pour empêcher leurs collègues, non pas de réussir mais simplement de survivre en faisant honnêtement leur métier. Elle loue toujours les qualités de certains catcheurs comme de véritables « locker-room leaders » alors qu'ils font souvent régner la terreur dans les vestiaires avec des méthodes qu'elle réprouve publiquement dans ses campagnes anti-bullying.

 

 

 

Ne me remerciez pas pour avoir fait débuter Warrior, j'ai aussi sauvé la carrière d'un yodler fou en le transformant en future star.

 

 

 

 

Nul besoin de la blâmer pour ça. Le catch, c'est exactement comme tous ces magasins de souvenirs autour de la grotte de Lourdes : des idoles en plastique, bien loin de la réalité, qui font office de gadgets marketing avec la couleur qui change au gré des conditions atmosphériques.

 

Néanmoins, avouons que la météo avait été particulièrement mauvaise pour l'Ultimate Warrior puisque le DVD « The Self-destruction of the Ultimate Warrior » était un véritable réquisitoire à charge envers le bonhomme. On le présentait comme un performeur assez peu talentueux dans le ring, totalement irrespectueux des us et coutumes du « business », un type tout sauf professionnel pour dire les choses rapidement.

 

Et à écouter le discours du Warrior ce samedi lors de son introduction au Hall Of Fame, on a clairement pu ressentir à quel point cela l'avait profondément blessé. Il a même explicitement insisté sur le fait qu'il avait toujours respecté ses pairs depuis ses débuts et c'était, à la WWF, où un accueil chaleureux des anciens était synonyme de dépôt de matière fécale humaine dans le bagage des nouveaux qu'il avait volontairement choisi de s'éloigner de cette ambiance de « franche camaraderie » propre au business. Parmi les dizaines de choses intéressantes que Warrior a évoquées ce samedi (souvent toutes à la fois à sa manière habituelle), il faudra aussi retenir sa proposition d'inclure à la cérémonie un prix spécial remis à un technicien pour l'ensemble des efforts qu'il a fourni et son travail dans l'établissement de la légende dorée des catcheurs qu'on célèbre ce soir-là.

 

 

Heureusement, tout ça a bien changé, hein, Randy ?

 

 

 

Pour le cas où vous n'auriez pas compris, ce que je tente de vous dire-là, depuis quelques paragraphes, l'Ultimate Warrior n'était pas un type dingo. Pas du tout, c'était juste un type normal, avec ses qualités et ses défauts, comme beaucoup d'autres, qui, un jour, avait connu une gloire immense grâce à son talent en devenant l'Ultimate Warrior et qui, depuis, était devenu prisonnier de ce personnage-là. Prisonnier de l'image sombre que véhiculait ceux qui l'avait fait et ne pouvaient pas accepter qu'il leur échappe, comme la créature du Docteur Frankenstein se retourne face à son créateur. Prisonnier aussi de l'image dorée qu'il avait de lui-même et toujours persuadé qu'être le Warrior était bien plus plaisant et avantageux pour lui qu'être James Hellwig.

 

Ce n'était plus vraiment un chaman, il était redevenu un catcheur presque comme tous les autres. Qu'il repose en paix.

 

 

 

 

 


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