Les femmes et les pédés d’abord

Vers l'Orient compliqué je volais avec des idées simples.

Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre

 

La WWE fait à nouveau parler d’elle dans les médias mainstream. Et comme souvent, c’est le genre de publicité dont elle se serait bien passée…

 

 

J’attends de récupérer ma valise en vue de la tournée dans le Golfe. J’espère qu’elle n’a pas été perdue, sinon je serai à bout d’habits!

 

 

Quelques réflexions profondes sur le Darrengate

 

Vers l'Orient compliqué je volais avec des idées simples.

Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre

 

La WWE fait à nouveau parler d’elle dans les médias mainstream. Et comme souvent, c’est le genre de publicité dont elle se serait bien passée…

 

 

J’attends de récupérer ma valise en vue de la tournée dans le Golfe. J’espère qu’elle n’a pas été perdue, sinon je serai à bout d’habits!

 

 

Quelques réflexions profondes sur le Darrengate

 

 

L’histoire a rapidement fait le tour de l’IWC et s’est même propagée au-delà de ses limites. On vous renvoie pour les détails à nos excellents confrères de Voxcatch, qui racontent tout ça ici. Pour résumer : la WWE effectue ces jours-ci (12, 13 et 14 février) une tournée à Abu Dhabi, l’un des sept émirats qui composent l’État fédéral des Émirats arabes unis (EAU). C’est sa troisième venue dans le coin, où elle a déjà effectué des house shows en 2012 et en 2013. Comme lors des deux visites précédentes, les divas ont été priées de rester chez elles. Autre membre du roster qui n’a pas été convié à la tournée : Darren Young, catcheur modeste qui a accédé à une notoriété nouvelle en août 2013 quand il a publiquement annoncé son homosexualité. Le sosie noir de Cena a mal vécu cette mise à l’écart et s’en est ouvert sur son compte Twitter, déplorant que la WWE aille se produire dans un pays qui « méprise les femmes et les gays ».

 

Il a rapidement retiré ce tweet, sans doute contraint et forcé par sa hiérarchie, mais a enfoncé le clou dans la foulée par deux autres tweets, regrettant que sa « liberté d’expression soit envolée » puis se plaignant de ne pas être soutenu. S’en sont suivis plusieurs messages de soutien à Young, notamment de la part de Lance Storm et de Sean Waltman. La WWE a fini par se fendre d’un communiqué embarrassé réaffirmant son soutien à Young dans « l’évocation publique de sa sexualité » tout en rappelant qu’elle ne pouvait pas changer les mentalités des pays du monde et invitant le catcheur à éviter d’aborder ces sujets sur les réseaux sociaux corporate de la fédération (mais l’autorisant, en un geste magnanime, à dire ce qu’il veut sur ses propres comptes Facebook et Twitter à lui).

 

 

Traduction : Hélas, nous ne pouvons pas changer les lois aux États-Unis, sinon on collerait une balle dans la tête de cette tapette qui nous casse les burnes et on n’en parlerait plus.

 

 

Voilà qui appelle plusieurs commentaires. Commençons par la fin et cette dissociation assez spécieuse que la WWE opère entre les comptes privés de ses stars et « les plateformes médias de la WWE ». Le compte Twitter de Young est estampillé @DarrenYoungWWE. Il existe un autre compte, sous le vrai nom du catcheur, @frederickrosser, mais il est en sommeil depuis 2011 et ne compte que 300 abonnés, contre 319 000 pour le compte @DarrenYoungWWE. Il faut donc croire que si Young avait réactivé son ancien compte pour y exprimer sa frustration, la compagnie n’en aurait eu cure, mais qu’elle refuse qu’il emploie à ces fins celui qu’elle a créé pour lui, sur lequel il est très actif depuis quatre ans et qui est mille fois plus suivi.

 

Le truc c’est que, toujours soucieuse d’accroître l’interaction entre ses catcheurs et les fans, la WWE encourage ses « Superstars » à employer leurs comptes officiels non seulement pour parler strictement de leurs aventures kayfabe mais aussi à discuter avec les fans de musique, cinéma, séries, vie quotidienne et ainsi de suite. Il n’y a évidemment aucun souci, du point de vue de la fédé, quand les catcheurs révèlent à leurs suiveurs leurs états d’âme sur leur compte officiel, aussi longtemps que ces réflexions n’égratignent pas la politique de Stamford. Bref le message c’est : « Parlez de ce que vous voulez, faites-nous de la pub, mais ne dites rien de critique à notre égard. » Attitude que l’on peut d’ailleurs comprendre, dans une certaine mesure : aucune compagnie n’aime voir son linge sale lavé en public.

 

 

Salam aleikoum mes frères. Je viens vous parler de la WWE, une compagnie qui a toujours présenté les Arabes sous un jour positif. Bismillah!

 

 

Mais il y a quand même ici une vision à géométrie variable de la liberté d’expression qui prête à sourire jaune. Le communiqué de la WWE, à cet égard, n’atteint pas vraiment le but recherché, qui était de donner aux suiveurs l’impression que la compagnie est à l’écoute de ses catcheurs et attachée à leur liberté d’expression : en disant à Young « si t’as des récriminations, parles-en sur ton compte perso que personne ne connaît mais n’en dis pas un mot sur ton compte officiel », elle bâillonne de fait sa capacité à s’adresser à ses 319 000 abonnés. Il aurait été bien plus sage de se contenter de préciser que la porte des patrons est toujours ouverte aux catcheurs désireux de faire état d’un désaccord mais qu’il était préférable de ne pas aller directement étaler son mécontentement sur les réseaux sociaux. C’est ce que font la plupart des boîtes dans ce genre de cas, on le constate par exemple régulièrement lorsqu’un footballeur qui ne joue pas assez à son goût vient s’en plaindre dans la presse au lieu d’en parler directement à son coach.

 

 

Les gars, on compte sur vous pour lancer des chants « we want Darren » et « we want Divas » dès le début du house show, hein!

 

 

Au-delà de cet aspect communicationnel, le plus important ici, c’est la vision que la WWE a de ces pays qu’elle visite fréquemment. Et en l’occurrence, elle se montre plus royaliste que le roi, ou plus émiriste que l’émir.

 

 

Photo prise lors de la tournée de la WWE à Abu Dhabi en 2013 : élue en décembre suivant "image la plus pédé et gonzesse de l’année".

 

 

Car les Émirats arabes unis ne sont ni l’Arabie saoudite voisine, ni l’Afghanistan des talibans ni l’État islamique des arriérés qui balancent les homos depuis les toits des immeubles. Les Émirats, de même que le Qatar voisin, se veulent relativement ouverts sur l’Occident. Or la WWE estime qu’il est impossible d’y emmener ses divas et son gay résident. Qu’en est-il réellement? Eh bien réellement, il se trouve que les femmes non musulmanes ont le droit de se promener à Abu Dhabi tête découverte, que le sport féminin y existe sous de nombreuses formes (et l’émirat voisin, Dubaï, organise par exemple depuis 2001 un tournoi de tennis féminin dont les protagonistes ne sont guère plus vêtues que la diva moyenne), et que les femmes locales ont le droit de se rendre aux spectacles de la WWE.

 

 

Sami Zayn invité à une émission de sport locale. Notez la présentatrice en burka.

 

 

Une équipe de foot féminin de l’antenne d’Abu Dhabi de la New York University. Et encore on ne vous montre pas le traditionnel échange de maillots.

 

 

Des fans au stand du stade lors de la tournée 2013. Celle du milieu porte un tshirt sur lequel on devine deux femmes s’embrassant sur la bouche.

 

 

Là, à gauche!!! Une meuf qui veut toucher Alex Riley! (c’est dire si elle est désespérée)

 

 

Meuf! Meuf! Sous le panneau là! Meuf!

 

 

Le Miz et Ziggler en compagnie d’un barbare et djellaba et de ses quatre épouses.

 

 

Sami Zayn est comme chez lui devant cette tente de bédouin.

 

 

Cours d’instruction religieuse à Abu Dhabi. Ici, les élèves sont invités à répondre à la question « montrez les principaux prophètes de l’islam ».

 

 

Faut croire que Madison Rayne est un mec. Ou alors que la WWE est plus émiriste que l’émir.

 

 

Quant au fait que Young, du fait de son homosexualité publiquement reconnue, serait en danger à Abu Dhabi…

 

 

Ouais, je cours un immense danger chaque fois que je viens ici. Je peux pas m’empêcher de m’empiffrer de loukoums et après j’ai des brûlures d’estomac.

 

 

Bertrand « tête brûlée » Delanoë, donc.

 

 

Klaus Wowereit, maire de Berlin et homosexuel notoire, signant à Abu Dhabi son contrat de mariage avec son amoureux.

 

 

Y a même des sites gays qui listent les endroits où les homos peuvent s’y retrouver, dites donc.

 

Evidemment, tout cela ne signifie absolument pas que cet endroit serait gay friendly et particulièrement en pointe en ce qui concerne les droits des femmes. Loin de là. L’homosexualité y est toujours férocement réprimée chez les locaux, les femmes continuent de subir tout un tas de discriminations archaïques et restent, à de très nombreux égards, des citoyens de seconde zone. Mais si des progrès, même mineurs, s’y sont produits dans ces domaines ces dernières années, c’est peut-être au moins en partie parce que l’ouverture sur le monde souhaitée par les émirs (pour des raisons avant tout économiques et sécuritaires, évidemment) a eu pour corollaire la venue de gays et de femmes sportives, actrices, chanteuses, et ainsi de suite, et qu’à force les locaux se rendent compte que ce sont des gens tout à fait normaux. En présentant à ce public un spectacle expurgé de ses femmes et de son gay (soi-disant pour « protéger » ce dernier), la WWE adopte une attitude à la fois frileuse et bornée, et du coup ce retour de bâton n’en est que justifié.

 

 

Abu Dhabi, 2012. Evidemment les mecs à côté tenaient des lettres formant les mots « should be killed by stoning ».

 

 

Coïncidence rigolote : la compagnie se félicite aujourd’hui en une de son site d’un accord qu’elle a signé avec un distributeur audiovisuel local pour diffuser à partir du mois de mars son Network en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Les fans résidant dans ces pays auront donc accès non seulement aux shows actuels mais aussi aux archives, donc à Chyna, Billy and Chuck, Trish qui aboie comme une chienne et ainsi de suite. On espère que la WWE, si prévenante envers les « cultures des pays du monde » (selon la formule de son communiqué) aura pris soin de flouter tout ça avant d’envoyer le signal vers ces régions!

 

 

Et surtout vous coupez la séquence Piggy James hein! Y a une femme déguisée en truie dedans, si nos clients bougnoules voient ça ils vont se désabonner en masse et venir faire exploser des avions sur nos Titan Towers!

Mais, M. McMahon…

Ta gueule! Respecte les bougnoules!

 

 

Un dernier mot sur le cas Young. C’est un catcheur moyen, qui revient d’une longue blessure, et qui est déjà âgé de 35 ans. Il n’apparaît dans aucune storyline depuis son retour et rien ne dit qu’il aurait été emmené en tournée s’il n’avait pas été homo. On peut se poser des questions sur la spontanéité de son coming out d’août 2013 (pourquoi diable le journaliste de TMZ lui aurait-il posé à lui et pas à un autre la fameuse question « pensez-vous qu’un gay peut réussir à la WWE? » si la réponse n’avait pas été prévue à l’avance?). On peut se dire que, la WWE ne voulant pas passer pour « la fédé qui a foutu dehors son seul catcheur gay », il est en quelque sorte protégé par cette notoriété. On peut juger que s’il est mécontent d’une décision de son employeur, il n’a pas à dénoncer ledit employeur sur les réseaux sociaux, et que s’il le fait tout de même, c’est en partie au moins parce qu’il est conscient de son statut d’intouchable.

 

Mais au fond… on s’en fout, des motivations de Darren Young. On se fout moins de celles de VKM et de sa vision du monde. Et on tremble pour le gimmick qui sera donné dans le roster principal à Sami Zayn, ci-devant arabophone (il est d’origine syrienne), qui a déjà été envoyé à Abu Dhabi en amont de la tournée collective pour préparer le terrain…

 

 

– Chers téléspectateurs, notre émission touche à sa fin. Encore merci à Sami Zayn pour avoir été avec nous, et je suis sûre que nous sommes nombreux ici à Abu Dhabi à avoir hâte de découvrir les représentants de la WWE la semaine prochaine. Pour ma part, je suis particulièrement ravie à l’idée de voir Charlotte et Sasha Banks en action!

– Heu… C’est-à-dire que…

Oui Sami?

Heu… Abonnez-vous au Network!


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